Interview de Thomas Savary (cofondateur de la société Du cœur à l’ouvrage, services d’édition)
Thomas Savary, cofondateur de Du cœur à l’ouvrage, a d’abord exercé comme chargé de communication et libraire avant de se spécialiser dans la relecture-correction en 2010, puis dans la mise en pages pour l’édition littéraire dès 2015. Responsable de la mise en page, des éditions numériques et de la création de couvertures typographiques, il œuvre à sublimer chaque texte. Il a également signé plusieurs articles sur le sujet entre 2022 et 2024. Passionné de typographie il met aujourd’hui son expertise au service des éditeurs et auteurs.
Pouvez-vous nous parler de votre parcours professionnel et de ce qui vous a conduit à cofonder « Du cœur à l’ouvrage » ?
Passionné de littérature, j’ai fini par rejoindre le monde du livre en 2005, lorsque je me suis associé à deux amis pour reprendre la librairie Voyelles aux Sables-d’Olonne, en Vendée. Ainsi, j’ai pu voir passer des milliers d’ouvrages de tous types et de toutes sortes d’éditeurs, y compris d’indépendants, mais aussi des livres publiés à compte d’auteur ou autoédités. Dans le cadre de l’Association des librairies spécialisées jeunesse (ALSJ), j’ai corrigé bénévolement pendant quelque temps les critiques publiées sur le blogue de l’association.
Par la suite, j’ai quitté la gérance de la librairie pour devenir correcteur indépendant, tout en restant associé de mes deux amis.
J’étais désagréablement surpris par le nombre d’accidents typographiques dans la majorité des épreuves papier ou PDF que j’étais amené à corriger, au point que j’ai fini par me dire que je ferais beaucoup mieux en apprenant à me servir d’un logiciel de PAO (publication assistée par ordinateur). C’est ce que j’ai fait, tout en approfondissant ma connaissance de la typographie en étudiant des auteurs comme Jan Tschichold, Jost Hochuli, James Felici, Robert Bringhurst, Pierre Duplan, Fernand Baudin ou encore Jean Méron… Et c’est ainsi qu’à la fin de l’année 2015 je me suis lancé dans la mise en page pour l’édition littéraire, tout en gardant la casquette de correcteur.
En 2024, mes deux associés de la librairie Voyelles, Olivier Anselm et Guillaume Jaouen, ont décidé de vendre cette dernière. Nous tenions à continuer à travailler dans le monde du livre, car c’est notre passion, et nous avons fondé tous les trois, à l’automne de cette même année, une société de services d’édition à la carte, s’adressant aussi bien aux éditeurs littéraires qu’aux particuliers.

Quels sont les services spécifiques que « Du cœur à l’ouvrage » propose aux éditeurs ?
Nos services vont de l’écriture à la mise en page.
Ils incluent ainsi un volet éditorial, assuré par Olivier : écrivain public, conseil en écriture, diagnostic littéraire, propositions de reformulation. Ce volet s’adresse bien sûr avant tout aux particuliers, mais le travail sur le style et la formulation pourrait tout de même intéresser certains éditeurs (« rewriting »).
Nous proposons évidemment un service de relecture (préparation de copie ainsi qu’épreuves) : les corrections en préparation de copie sont assurées par Guillaume et des correcteurs partenaires comme Cédric Péron ( https://www.linkedin.com/in/cédric-péron/) ; et c’est moi pour l’instant qui m’occupe de la relecture des épreuves : puisque j’assure également la mise en page, voilà qui permet de limiter les allers-retours entre relecteur et metteur en page, donc de gagner en temps et en efficacité.
En matière de PAO, nous travaillons aussi bien en vue de l’impression que de l’édition numérique :
- conception de maquette et mise en page ;
- éditions numériques (PDF, EPUB 3) ;
- création de couverture graphique ou typographique.
Nous proposons également la recréation de copie depuis un fichier PDF : un service moins courant mais fort utile quand la copie a disparu ou présente trop de différences par rapport à l’édition publiée ; ou bien lorsqu’un éditeur étranger n’a pu fournir à l’éditeur francophone qu’un PDF en vue de sa traduction…
Comment accompagnez-vous les éditeurs tout au long du processus éditorial ?
Nous avons à cœur de travailler efficacement de concert, en nous efforçant de nous adapter aux habitudes de travail des éditeurs, ou bien en les aidant, le cas échéant, à mettre en place ou à rationaliser certaines pratiques et procédures, comme dans le nommage des fichiers, l’ordre des activités… Ce n’est pas évident pour toutes les maisons d’édition qui se lancent (encore moins pour les autoéditeurs), mais par exemple une mise en page commence par le choix du format, et donc bien souvent par celui de l’imprimeur.
Certains éditeurs se lancent aussi dans le métier sans maîtriser encore suffisamment les logiciels de traitement de texte, notamment les fonctions d’enregistrement et de suivi des modifications, de commentaire ou de stylage. Nous pouvons les aider à apprivoiser ces outils dont la maîtrise est souvent nécessaire ou au moins fort utile — accessoirement, savoir styler correctement un document permet ensuite d’interagir plus efficacement avec les relecteurs et les metteurs en page, voire de réduire le coût de leurs prestations.
À terme, nous prévoyons d’ailleurs des initiations en ligne à ces fonctions des logiciels de traitement de texte, ainsi qu’aux expressions rationnelles, un langage informatique qui permet de décrire plus ou moins abstraitement des chaînes de caractères pour effectuer recherches et manipulations, extrêmement utile lors du stylage de documents, de la correction ou même de la mise en page (pour les éditeurs qui essaient de faire un maximum de choses en interne).

Quelle est votre approche en matière de mise en page et de création de couverture ?
En matière de mise en page, nous visons la qualité maximale en un minimum de temps : « Une bonne typographie économise les dépenses de temps et les moyens », écrivait Jan Tschichold. Mort en 1974, ce grand typographe du XXe siècle aurait rêvé des possibilités offertes par les ordinateurs actuels. Pour peu qu’on sache en tirer parti, l’informatique permet en effet d’automatiser un grand nombre de tâches, d’où des gains de temps considérables. C’est ce qui nous permet de proposer, pour seulement quelques dizaines d’euros (pour un moyen format de 300 p.), une maquette irréprochable et une qualité typographique dans la bonne moyenne de l’édition littéraire française.
Il s’agit somme toute d’un objectif bien modeste, dans la mesure où cette moyenne n’a en fait rien de glorieux — voir à ce propos l’article d’Olivier Bessard-Banquy, « Le livre moche à la française », https://books.openedition.org/pupo/1879?lang=fr. Nous avons toutefois à cœur de permettre à chacun, quel que soit son budget, de publier des livres qui, en matière de mise en page et de typographie, au minimum ne démériteront pas au milieu des publications d’éditeurs comme Albin Michel, Minuit, Le Seuil ou Gallimard.
Pour les éditeurs dont le budget le permet, nous proposons en tout cas beaucoup mieux. Voilà qui exige bien plus de travail humain, mais nos tarifs demeurent dans la moyenne des prix pratiqués en France, pour une qualité sans commune mesure avec ce que donne à voir la quasi-totalité des éditeurs francophones.
Entre ces deux niveaux, la moyenne et l’excellence, tout est imaginable, en fonction des accidents typographiques que nous nous engageons à traiter, en accord avec l’éditeur.
S’agissant des livres numériques à la mise en page fluide (EPUB, MOBI), on ne peut pas en attendre la même qualité que sur papier ou en PDF : pour tout dire, on ne peut même pas escompter une qualité dans la moyenne de l’édition imprimée. Nous tenons néanmoins à faire le maximum pour « limiter la casse » :
- en concevant des maquettes agréables ;
- en embarquant des polices libres esthétiques ;
- en tirant parti des fonctionnalités des polices OpenType pour un rendu plus agréable (ligatures, chiffres elzéviriens, vraies petites capitales et lettres supérieures…) ;
- en indiquant par l’élément HTML ­ tous les endroits où les mots peuvent être coupés, dans le but de réduire le nombre de lignes lavées, y compris dans les applications ou sur les liseuses incapables toutes seules de couper les mots correctement.
Nous proposons sinon en effet la création de couvertures. N’étant pas graphiste, je suis plus à l’aise avec les couvertures typographiques (sans illustration). Ce type de couverture est souvent associé à une image de classicisme et de sérieux ; il n’est pas synonyme pour autant de neutralité ou même de minimalisme : quoique de manière sans doute plus abstraite qu’une couverture graphique, une couverture typographique peut être exubérante, déroutante, aguichante, agressive, piquer la curiosité…
Nous pouvons cela dit tout à fait concevoir également des couvertures graphiques ; lorsque j’estime qu’un projet de couverture dépasse mes compétences, nous faisons appel à des graphistes chevronnés comme Thomas Desmond (https://www.thomasdesmond.com/).
Quels sont les standards de qualité que vous vous imposez dans vos prestations éditoriales ?
« Seul le maximum est suffisant », a pu un jour déclarer en entretien le claveciniste Gustav Leonhardt à propos de l’approche qu’avait Bach de la musique. Nous en avons fait notre devise, en nous efforçant d’en être dignes.
Nous sommes des artisans au service du livre. Il n’y a pas pour nous de clients ou d’ouvrages plus ou moins dignes de nos efforts que d’autres. À chaque étape du processus éditorial où nous intervenons, quel que soit l’éditeur, quel que soit le livre, texte littéraire ambitieux ou modeste récit de vie, nous faisons de notre mieux, en fonction du temps et du tarif dont nous sommes convenus avec l’éditeur ou l’auteur autoédité.
Vous avez écrit sur la typographie et mis en avant certaines pratiques. Quelle est votre vision d’une bonne typographie dans l’édition ?
Nous déplorons que la plupart des gros éditeurs négligent la question de la typographie. Mais c’est finalement une chance pour l’édition indépendante, l’occasion de se démarquer. D’autant, je le redis, que la qualité n’est pas nécessairement hors de prix.
Au-delà de sa fonction purement utilitaire de faciliter la reproduction d’un texte, la typographie a pour mission de servir celui-ci. Elle doit inviter à sa lecture, puis assurer que celle-ci soit la plus agréable et la plus fluide possible. Autrement dit, la typographie présente une importante dimension esthétique : il s’agit pour commencer de séduire l’œil du lecteur — sans toutefois trop en faire, car la typographie n’est pas censée se mettre elle-même en valeur en se servant du texte : au contraire, c’est à ce dernier qu’elle doit permettre de briller. Voilà qui suppose de trouver un équilibre délicat entre beauté et sobriété, entre élégance et discrétion.
Respecter et servir le texte, c’est également respecter le lecteur. Ainsi, concevoir une bonne maquette ne suffit pas. Si réussie soit-elle, nulle maquette n’empêchera jamais la survenue de multiples accidents typographiques en tous genres : page creuse trop courte, veuves, orphelines, mot coupé en bas de page, lignes lavées, lézardes, lignes creuses trop courtes ou trop longues, superposition sur plusieurs lignes consécutives de mots identiques ou homonymes, et bien d’autres… Une bonne typographie fera en sorte d’éliminer tous ces accidents susceptibles de distraire ou d’entraver la lecture — ou du moins s’efforcera-t-elle d’en réduire considérablement le nombre, car malheureusement certains alinéas n’offrent aucune solution qui ne soit pire que le mal. Quelques-uns peuvent être évités en amont, essentiellement grâce aux expressions rationnelles, mais la plupart demanderont des interventions manuelles du typographe, qui bien sûr s’interdit de modifier le texte.
« Une typographie réussie, écrivait le typographe américain James Felici, est le résultat du soin apporté au moindre détail, parfois par touches infimes. […] Il est nécessaire pour cela de supporter d’être considéré comme un maniaque. » En tant que typographe, j’aspire à devenir chaque jour plus maniaque.
Quels sont vos projets pour continuer à soutenir les éditeurs et les auteurs ?
Pour ce qui est de la mise en page et de la typographie, nous publions d’ores et déjà une série de billets consacrés à ce thème pour le blogue de notre site Internet : https://www.dcao-sarl.fr/blog/2. Dans le cadre de notre collaboration avec Le Mouk, nous proposerons prochainement une série d’articles sur les mêmes thèmes en nous adressant plus spécifiquement aux éditeurs.
Parallèlement, je poursuis l’écriture d’un précis de typographie pour l’édition littéraire dans l’idée de donner aux indépendants (éditeurs, autoédités, graphistes) le bagage théorique nécessaire à la réussite de la mise en page de récits, d’essais ou de pièces de théâtre.
Savoir quoi faire, c’est bien ; comment et avec quels outils, c’est encore mieux. Le précis en question sera donc suivi par une série d’ouvrages pratiques qui pourrait s’intituler « Mettre en pages son roman avec… » : l’application de ces connaissances aux principaux logiciels de PAO actuels : Adobe InDesign, Affinity Publisher, Scribus, LuaLaTeX, ConTeXt. Utilisant moi-même LuaLaTeX, j’écrirai le volume correspondant. Les autres seront des ouvrages de commande, rédigés par des spécialistes des autres programmes.
Comme je l’évoquais, nous proposerons par ailleurs des initiations en ligne à l’utilisation de divers outils informatiques utiles aux éditeurs ou aux auteurs :
- l’installation d’une disposition de clavier digne de ce nom (permettant de saisir simplement les caractères bizarrement dits « spéciaux ») ;
- l’enregistrement et le suivi des modifications (mode édition) dans les logiciels de traitement de texte ;
- le stylage de documents ;
- les expressions rationnelles ;
- LuaLaTeX dans le cadre de l’édition littéraire (le système de composition typographique qui nous permet d’atteindre un niveau de qualité acceptable en un temps record, et l’excellence en un temps raisonnable).
En tant qu’anciens libraires, mes collègues et moi-même pouvons par ailleurs apporter quelques informations et conseils susceptibles d’aider les éditeurs débutants à placer leurs ouvrages plus efficacement. De façon générale, nous sommes attentifs à ce qui se passe dans le monde de l’édition indépendante et de l’autoédition, toujours ravis de pouvoir contribuer à la professionnalisation du milieu.
Un grand merci à l’équipe de le Mouk pour le partenariat qui s’annonce !
Merci beaucoup à Thomas d’avoir répondu à notre interview. N’hésitez-pas à lui poser vos questions sur le forum afin de partager avec la communauté ses réponses et vos avis.
Vous pouvez aussi aller faire un tour sur le site de -Du coeur à l’ouvrage- .